Les vraies raisons de
s’inquiéter sur le recrutement des enseignants français sont, comme souvent, mises
sous le tapis.
Une première concerne
l’important décrochage des jeunes professeurs[2] : près de 20% démissionnent durant les 5 premières années d’exercice de
leur métier.
Enseigner est choisi
par défaut par plus de la moitié des étudiants, parfois comme troisième choix,
et les caractéristiques réelles du métier dissuadent non seulement les débutants,
mais aussi les étudiants avant les concours de recrutement.
Dans des
disciplines comme les lettres classiques, les mathématiques ou l’anglais,
chaque année les concours ne font pas le plein. Pourtant, à leur grand regret, les
jurys (en principe souverains) sont poussés par l’administration à admettre des
candidats ayant des notes très basses. Comme cela ne suffit pas à couvrir leurs
besoins, des rectorats sont contraints de faire appel à des solutions qui ne contribuent pas à
améliorer le niveau du corps enseignant, on me pardonnera l’euphémisme !
La Cour des
comptes fait observer qu’entre 2012 et 2016, plus de 10% des postes mis aux
concours n’ont pas été pourvus. Cette année, selon la Depp, cela a même atteint
13%, dont 2/3 pour les Capes et 22% pour la voie professionnelle. Sur le terrain, d’année en année,
le nombre d’enseignants peu qualifiés augmente.
L’attrait du
métier, y compris dans les territoires « hyper-ruraux », n’est plus
suffisant pour attirer assez de candidats, et surtout, le mode de recrutement s’avère inadapté. Résultat : dans l’académie de Versailles[3],
20% des enseignants sont des débutants et 6% des contractuels ; plus du
quart sont donc peu ou pas expérimentés, ce n’est pas rien !
La situation est
paradoxale. L’accroissement formel du niveau de recrutement depuis 1989 a
conduit à placer devant les élèves un nombre croissant d’enseignants insuffisamment
formés. Cela fait ainsi diminuer le niveau réel du corps enseignant. Cette douloureuse situation, conséquence
d’un attachement quasi-religieux aux concours actuels, a conduit à une impasse.
Trois lois
successives ont placé les concours de recrutement au milieu des
deux dernières années de formation universitaire. En conséquence, les formateurs
doivent articuler deux logiques, l’une pour assurer la préparation d’un
concours de recrutement très académique et de moins en moins en phase avec les
réalités évolutives du terrain, l’autre pour délivrer la première année d’un
master, diplôme universitaire. Pire encore, en cas de
réussite au concours et à un M1, les professeurs
stagiaires doivent suivre la préparation d’une seconde année de master s’ajoutant
à la prise en charge de classes. Malgré les efforts des formateurs, cela donne
peu satisfaction aux étudiants, contrairement à ce que l’on voit écrit dans certains
rapports : les bureaucrates sont parfois tristement lénifiants !
La loi Jospin
insista sur « le » métier d’enseignant et le besoin d’une culture
commune. Cet objectif, dogme non questionné, masqua le reste ; il empêcha
que l’on s'interroge sur la spécificité professionnelle d’un enseignant de
maternelle ou de lycée professionnel. C’est
la profession, dans son ensemble, en tant que profession, qui doit partager une
culture commune, autour de métiers distincts, qui requièrent chacun une formation
professionnelle ad hoc.
Alors, faut-il
toujours des concours de recrutement ? Avec courage, Alain Boissinot[4]
n’hésite pas à écrire que le modèle actuel est une fiction, pour conclure : « il est temps de renoncer
aux concours ».
Former, puis qualifier, puis recruter sur profil
Sont à articuler
trois fonctions : la formation, la qualification (habilitation à
enseigner) et le recrutement. Les concours actuels assurent les deux dernières,
dans une confusion des rôles et une difficile articulation avec la première.
Ils sont placés au milieu des cursus universitaires comme si le but était de les
dénaturer. Leur pertinence s’est effondrée et ils cumulent les inconvénients. En particulier, ils empêchent l’université de bâtir des masters adaptés, comme elle le fait aujourd'hui pour de
nombreux métiers.
Plus grave
encore : les actuels concours, paralysés par leur mode bureaucratique,
sont incapables de repérer les compétences professionnelles des candidats.
Enfin, l’employeur
n’est pas en mesure d’affecter les différents profils des lauréats là où ils
seraient utiles.
Pour les
professions de haut niveau intellectuel, l’université propose des parcours à la suite desquels les diplômés se tournent vers les employeurs qui procèdent
aux recrutements en fonction des profils qu’ils recherchent. Dans ce schéma
chacun est dans son rôle. Pourquoi maintenir la confusion à l’Éducation
nationale ? À qui profite cette guerre des territoires, chaque partie prenante
disant que les problèmes sont de la faute des autres ?
Les enseignants du
premier degré sont des fonctionnaires de l’État, recrutés par des concours au
niveau académique (et non pas national), avec des affectations départementales.
Ils n’en sont pas moins fonctionnaires de l’État ! Affirmer, comme
certains le font, que seul le recrutement pas des concours nationaux est
envisageable pour des fonctionnaires de l’État est une contre-vérité. Que
cache-t-elle ?
Le temps est venu de
laisser l’université faire son travail de formateur, puis le niveau
déconcentré, au plus près du terrain, d’assurer le recrutement sur profil au
nom de l’État. Il s’agit donc de séparer la formation, la qualification
professionnelle (qui pourrait être régionalisée) et le recrutement sur profil
par les circonscriptions du premier degré et les établissements secondaires.
Mais ceci ne sera
pas suffisant.
Rendre attractifs les secteurs en difficulté
Il est nécessaire de rendre attractives les académies et les filières qui ne le sont pas, en payant davantage les enseignants des secteurs en difficulté de recrutement, comme cela se fait déjà pour les DOM-TOM et les établissements français à l’étranger.
Rendre attractifs les secteurs en difficulté
Il est nécessaire de rendre attractives les académies et les filières qui ne le sont pas, en payant davantage les enseignants des secteurs en difficulté de recrutement, comme cela se fait déjà pour les DOM-TOM et les établissements français à l’étranger.
Puisque certaines académies
peinent chaque année à recruter suffisamment de professeurs des écoles, même avec
des concours supplémentaires, il est nécessaire d’attirer en amont des
candidats venant de tout le territoire national par des conditions attractives exceptionnelles,
donc de permettre à l’enseignement primaire, dans les espaces en fort déficit
de volontaires, de nettement plus payer les enseignants recrutés, le temps qu’ils y
restent.
Pour les concours
du second degré, l’attrait des disciplines est très variable. S'il y a des surnombres pour certaines (mais on continue à recruter !), pour d'autres, chaque
année, il est impossible de pourvoir tous les postes mis aux concours. Cela
conduit les rectorats à faire appel à des contractuels et cette mécanique s’amplifie.
Il faut donc économiquement différencier les disciplines. Pour celles qui
peinent à attirer des étudiants, l’enjeu salarial s’avérera essentiel ; ce
levier est préférable à l’appel massif à des contractuels pas ou peu formés.
À trois reprises, sans
succès spectaculaire, le Parlement a modifié les structures et les contenus de la
formation des maîtres, mais sans toucher à la clé du système français : les bureaucratiques
concours de recrutement des enseignants. La question ne doit plus être taboue.
Le temps est venu de changer ce mode de recrutement, de le faire sur profil au plus près du terrain et de moduler les salaires en fonction des besoins.
Le temps est venu de changer ce mode de recrutement, de le faire sur profil au plus près du terrain et de moduler les salaires en fonction des besoins.
[1] Ceci sera développé dans
un article à paraître en mars 2018 dans les Cahiers d’Éducation et Devenir.
[2] Question taboue en France
jusqu’à ces derniers mois. Ce phénomène est présent dans de nombreux pays, même en Suisse.
[3] Les chiffres pour
l’académie de Créteil sont voisins.
[4] Dans un récent numéro d’Administration et éducation (2017),
N°154