La « gestion des ressources
humaines » est une expression convenue que je n’aime pas, mais que
j’emploie ici faute de mieux.
Celle pratiquée à l’Éducation nationale est quasiment unique sur la planète. Présente en d’autres lieux au siècle dernier, aujourd’hui elle relève du musée des organisations..
Les questions qu’elle traite concernent de l’humain. Or, dans notre système éducatif, tout est seulement conçu pour satisfaire deux puissantes bureaucraties qui s’accordent : la technostructure et les organisations syndicales. On le mesure au considérable enjeu des 1900 postes (près de 100 millions d’euros chaque année) attribués par la première à la seconde, au titre de la très chère (oui !) cogestion.
Les questions qu’elle traite concernent de l’humain. Or, dans notre système éducatif, tout est seulement conçu pour satisfaire deux puissantes bureaucraties qui s’accordent : la technostructure et les organisations syndicales. On le mesure au considérable enjeu des 1900 postes (près de 100 millions d’euros chaque année) attribués par la première à la seconde, au titre de la très chère (oui !) cogestion.
J’observe
que l’énergie des acteurs et leur temps sont dilapidés sur des sujets
hiérarchiques, corporatistes, « à la petite semaine », incluant des
questions de statuts, de barèmes, de points, de dossiers ; jamais de
l’humain ! Par essence, les bureaucraties ignorent les individus.
Or, il ne peut y avoir de gestion des
ressources humaines que dans la proximité des personnes et la confiance[1].
La défense d’un fonds de commerce
La
taille considérable du système éducatif (près d’un million d’acteurs !) est mise en avant comme justification de l’administration pratiquée.
Cela n’explique rien puisque tout pourrait se faire en proximité ; mais bien sûr
à condition de le vouloir.
Il est sans doute nécessaire de distinguer la
gestion du système global, avec son effectif colossal et ses enjeux stratégiques,
de la "gestion" fine des personnes. En principe, existent des liens entre les deux.
La
gestion des ressources humaines concerne des acteurs variés et de multiples
sujets : le recrutement, l’accueil, l’accompagnement, le développement
professionnel, les remplacements, les entretiens professionnels, l’évaluation, les
conseils, l’écoute, les absences, la carrière, la santé, le mal-être, les rémunérations, les primes, la formation, la mobilité…
L’acronyme
GRH est omniprésent dans les écrits ; mais, dans les faits, seule existe une
administration de dossiers en vue de
gérer des départs à la retraite, des mutations, des recrutements, des
affectations, des services partagés entre petits collèges ou pour les disciplines
à faibles effectifs… Ces sujets relèvent de la proximité ; pourtant cela ne se pratique pas ainsi. L’obstacle est d'ordre culturel.
Que
veulent préserver les « alliés objectifs » que j’évoquais plus haut
lorsqu’ils prétendent que, pour des raisons d’égalité, la
gestion des ressources humaines ne peut se faire qu’au niveau national ? N’est-ce
pas la simple défense d’un « fonds de commerce » ?
L’illusoire création des DRH académiques
En
1995, un Directeur des ressources humaines fut nommé[2]
dans chaque rectorat, chargé du sujet et placé sous l’autorité
directe du secrétaire général de l’académie. Mon scepticisme fut alors considérable
et je regrette d’avoir eu raison.
Cette
fonction d’abord exercée par quelques inspecteurs ayant une bonne connaissance
des acteurs locaux, fut rapidement digérée par "l’administration administrante" rectorale, Aujourd’hui,
le rôle du DRH revient à mettre un peu de couleurs sur de tristes dossiers et leurs rébarbatifs contenus, et à accorder quelques entretiens à des personnes
signalées comme étant en grande difficulté, pour leur proposer un temps partiel dans
un CDI ou dans des services. On ne traite pas le problème ; on case ailleurs les
individus concernés.
Lors d’un comité technique paritaire,
il serait déplacé de demander si telle personne a des projets professionnels,
des souhaits, des désirs, des compétences rares et précieuses… En un tel lieu ces
termes sont incongrus ! En arrivant au niveau central, ils ont encore
moins droit de citée. Les quelques traces d’humanité sont expurgées aux échelons
intermédiaires, à la satisfaction de l’administration centrale appuyée par les
représentants des personnels qui partagent la même culture bureaucratique et inhumaine.
Dans
ces commissions, on ne traite que des dossiers,
avec des critères précis et connus. Tout doit être vérifiable et la
subjectivité est traquée À ce titre, les avis des corps d’inspection sont mis
en doute, jugés inutilisables car subjectifs, trop liés à la vue personnelle de l'inspecteur. La preuve : parfois ils se contredisent entre eux dans le
temps, malgré leurs précautions et la langue de bois, dite pédagogique, qu’ils
utilisent.
Les
références aux mérites des personnes sont écartées comme inconvenantes. On ne
trouve presque rien émanant du chef d’établissement qui est pourtant le supérieur
hiérarchique direct des personnels qu'il voit à l'oeuvre au quotidien. Cherchez l’erreur !
Il
ne faut donc pas s’étonner de l’importance quasi exclusive que joue l’ancienneté. Un robot
pourrait faire ce travail ; seul manquerait l’affligeant aspect théâtral
et répétitif de ces ennuyeuses séances dites paritaires où tout n’est que jeux
de rôles convenus et écrits à l’avance par ceux qui s'en repaissent.
L’écoute et le conseil aux personnes
Au
sein de l’institution, aucun espace n’est prévu pour formuler des conseils
autres que « passez des concours internes » ou pour demander « pourquoi
voulez-vous un poste aménagé ? ». Dans les services, les femmes et les
hommes en charge de ces questions doivent intervenir mécaniquement, comme le ferait un
ordinateur. S’observe là, à l’état pur, la bureaucratie au sens de l’idéal-type
de Max Weber.
Pourtant
les besoins de conseils des enseignants sont tellement importants que sont
apparues des initiatives individuelles comme celle de Rémy Boyer[3]
ou d'officines privées qui proposent à un public, estimé à 15% des professeurs,
des « consultations » contre rémunération. Ce marché du coaching, en expansion, est le résultat
de ce tabou sur le métier et les carrières, qui enferme les enseignants dans un
redoutable isolement, malgré les efforts de nombreux chefs d’établissements
pour tenter de les accompagner dans leurs parcours et leurs projets.
Les
entretiens de carrière qui se mettent en place depuis peu offrent une
perspective nouvelle, mais contre culturelle, qui mettra, au mieux, dix ans à
modifier les relations entre les personnes. Offrira-t-elle une réelle gestion des ressources humaines de proximité, ou substituera-t-elle à
l’actuelle administration mécanique centralisée un redoutable formalisme de proximité comme
certains le craignent ?
Il
est trop tôt pour le dire, mais le risque est élevé tant le système est
imprégné, en profondeur, de bureaucratie.
De vrais rapports humains
Les
circonscriptions du premier degré et les établissements secondaires sont à
« taille humaine ». Peuvent s'y établir de vrais rapports entre les
personnes. Dans ces unités, la gestion des ressources humaines prend tout son
sens. À condition, bien sûr, de mettre ces entités en situation réglementaire
de pouvoir le faire en termes d’autonomie (au sens où je l’ai évoqué dans un
précédent billet) et surtout de responsabilités.
C’est
à ce niveau de proximité que l’on peut travailler sur le turn-over et l’absentéisme des enseignants, ou sur l’appui aux personnes
en difficulté, ou encore sur l’aide à celles qui envisagent une autre carrière,
partielle ou totale, ou celles qui rencontrent une difficulté professionnelle,
avec pour but d’aider à la recherche de solutions personnalisées.
Je suggère
que l’évaluation des inspecteurs du premier degré et des chefs d’établissements
secondaires inclue la façon dont ils assurent la gestion des ressources
humaines de leurs équipes. Le message serait clair.
Le triste paravent de l’égalité formelle
L’obsession de l’égalité formelle
est un paravent pour dissimuler un mépris souverain des personnes. Seul le
système et sa stabilité importent ; il faut les préserver, même au
détriment du bien-être des acteurs, qui n’est en rien le souci d’une
bureaucratie !
Aujourd’hui
des problèmes concernant la carrière d’un enseignant ou d’un CPE ne relèvent
pas d’un traitement local. Par exemple, les stratégies qu’ils déploient pour
passer par étapes, de leur première nomination dans une académie non souhaitée à
la ville visée, voire l’établissement désiré, reposent sur des règles de
mutation pour lesquelles la bureaucratie wébérienne semble légitime en raison
de l’échelle ; bien sûr, tant que le recrutement ne sera pas territorialisé.
De
nouvelles pistes se discernent à l’horizon. Par exemple, le Conseil d’État, en
janvier 2013, a validé le timide dispositif de recrutement sur profil de
certains enseignants. Je rêve de le voir enfin se développer.
Les besoins d’accompagnement personnalisés, d’écoute, de conseils, de formation, de valorisation, relèvent déjà, en principe, de la seule proximité ; mais comment sont-ils traités ?
Les besoins d’accompagnement personnalisés, d’écoute, de conseils, de formation, de valorisation, relèvent déjà, en principe, de la seule proximité ; mais comment sont-ils traités ?
Chiche !
Que dire de ce système éducatif qui s’appuie sur ses responsables de proximité en les chargeant des réformes et des missions les plus difficiles, et qui pourtant ne leur accorde aucune confiance dans la gestion des ressources humaines ?
Les relations actuelles sont empreintes de méfiance, alors que les acteurs devraient pouvoir se mobiliser dans la confiance en s’appuyant sur les réseaux fonctionnels horizontaux.
Que dire de ce système éducatif qui s’appuie sur ses responsables de proximité en les chargeant des réformes et des missions les plus difficiles, et qui pourtant ne leur accorde aucune confiance dans la gestion des ressources humaines ?
Les relations actuelles sont empreintes de méfiance, alors que les acteurs devraient pouvoir se mobiliser dans la confiance en s’appuyant sur les réseaux fonctionnels horizontaux.
Il faut
agir là où les acteurs construisent le sens de leur action. Cela conduirait à employer
la confiance comme philosophie de base des rapports humains et comme outil de
management de proximité.
L’actuelle
bureaucratie et son abominable carcan ne sont pas des fatalités.
Le ministre Jean-Michel Blanquer parle de la confiance et propose de « mettre de l’humain dans l’humain ». J’aime cette belle formule. Sans vouloir me montrer impertinent, je dis : chiche !
Le ministre Jean-Michel Blanquer parle de la confiance et propose de « mettre de l’humain dans l’humain ». J’aime cette belle formule. Sans vouloir me montrer impertinent, je dis : chiche !