Dans ce billet, j’aborde quelques
questions taboues concernant l’enseignement professionnel français, en partant
de la découverte progressive que j’en fis, avec son lot de surprises, souvent
révélatrices de la culture dominante de notre société méprisante envers ce
qui ne relève pas des humanités classiques ou des sciences dures telles
qu’elles sont enseignées en classes préparatoires aux Grandes écoles.
Les
rénovations et plans de reconversions
Mes premiers contacts avec
l’enseignement professionnel remontent au milieu des années 1980, j’étais alors chef de la MAFPEN de Lyon en charge de la formation continue des personnels de
l’académie.
L’enseignement professionnel était frappé
par un exceptionnel train de rénovations, sans précédent. Par exemple, il
fallait reconvertir par centaines les professeurs de couture (des femmes
parfois proches de la fin de leur carrière), en enseignantes de technologie au
sens où on l’entendait en ces temps anciens : usage du TO7 et du Minitel. Pour cela, dans
chaque département et en urgence, furent créés des centres de formation qui fermèrent
quelques années après, une fois leur tâche accomplie.
Que de détresse et
d’incompréhension ! Ces personnes devaient abandonner un métier qu’elles
aimaient, dont elles étaient fières, auquel elles s’identifiaient. Il était au centre
de leur image sociale : la couture était alors très utile à tous.
En lieu et place, on leur imposait un surprenant avenir professionnel en leur
tendant une bouée de secours sans attrait, dépourvue de sens, à
laquelle elles avaient peine à s’accrocher. Quel challenge pour les formateurs
qui partageaient leur douleur ; heureusement, outre leurs compétences techniques,
pleins d’humanité ils se montraient particulièrement compréhensifs !
L’enseignement professionnel conçu
après-guerre, donc en un tout autre temps, subit secteur après secteur, durant
la décennie qui suivit la fin des Trente Glorieuses, une série de tels chocs
douloureux, violents, de plus ou moins grande ampleur.
Ces changements n’ont nullement mobilisé
l’attention des médias, ni des enseignants de l’enseignement général. Cette
indifférence en disait long et fleurait le mépris. Ils ne trouvaient rien à redire
puisque que l’accès aux Grandes écoles n’était pas menacé pour leurs enfants !
Cela ne les concernait donc pas.
Jamais l’enseignement général ne connut de
tels cataclysmes. Il est préservé par la société des agrégés, les élites
intellectuelles parisiennes et les médias. Personne n’a imaginé reconvertir un
professeur d’italien en enseignant de sciences physiques. Lorsque dans une
discipline d’enseignement général il n’y pas assez de cours à assurer pour
mobiliser toutes les ressources humaines disponibles, en attendant de très
hypothétiques jours meilleurs qui ne viennent jamais, on ne supprime rien ;
on continue même à créer des postes inutiles, bien sûr sans se préoccuper du
contribuable car ce serait mesquin ! Il faut bien que les juteux concours
de recrutement aient quelque chose à se mettre sous la dent pour justifier leur juteuse existence.
Plus surprenant encore : dans le
milieu directement concerné, celui de l’enseignement professionnel, à cette
époque, d’aucuns, peu au fait de l’économie, pensaient avec une grande naïveté
qu’il suffirait d’attendre sans rien faire le retour de nouvelles Trente Glorieuses
pour que tout rentre dans l’ordre ancien, avec le plein emploi, sans soupçonner
que s’annonçaient de considérables changements sociétaux modifiant en
profondeur les professions. Aujourd’hui, bien malin est celui capable de dire
ce qui nous attend d’ici dix ans. Faut-il pour autant préconiser le statu quo en attendant ?
Si l’enseignement professionnel s’est
trouvé seul et méprisé, curieusement de son côté il n’a rien fait pour se
préparer aux considérables changements sociétaux perceptibles. Il a pratiqué la
politique de l’autruche, attendant que l’État - avec une baguette magique qu’il
n’avait pas - résolve ses problèmes. Un peu hébété, il attend encore.
Enfin, je compris que pour
l’enseignement professionnel, ce qui compte le plus, ce n’est ni le Collège de
France, ni l’Académie française, ni les universités, ni même les sociétés
savantes, mais l’amour des métiers, de tous les métiers. De loin, les métiers sont
premiers et fondent sa culture.
Le
riche monde des ENNA
Pendant plusieurs années je
consacrais beaucoup de mon temps à ce domaine. En particulier, je découvrais,
ce qui se faisait au sein de l’École normale nationale d’apprentissage (ENNA). Au
nombre de six en France métropolitaine, ces établissements étaient chargés de
la formation initiale et continue des professeurs de lycées professionnels
(PLP) et il y en avait une dans l’académie de Lyon, dotée d’une solide équipe
de formateurs.
Plus tard, dans un soucis d’égale
dignité, pour rapprocher symboliquement les PLP des certifiés, le ministère
créa un nouveau statut, celui de PLP 2. Cela fut très bien ressenti par la
profession et, à la longue, il n’y eut plus qu’eux dans les lycées
professionnels.
À ce moment les branches industrielles
étaient, les unes après les autres, en grande difficulté, tandis que
l’artisanat, le secteur tertiaire et les métiers de la santé semblaient mieux
résister en termes d’emplois.
Dans les plans de reconversion, les
dimensions humaines étaient premières et ce qu’on pouvait apporter à des
personnes en détresse, en mobilisant les ressources de la MAFPEN, était d’abord
sur ce registre. Aujourd’hui, on parlerait d’accompagnement.
Sur le terrain, je ne me lassais pas
d’entendre un mécanicien, un chaudronnier, un ébéniste, un plombier, un maçon ou un tailleur
de pierres m’expliquer la beauté de ses gestes, leur finesse, les petits
détails qui font que tout sera raté ou réussi. Pas question de tricher, de
faire semblant, de chercher à donner le change avec un 8/20 qui sera administrativement
transformé en un 10/20 ne signifiant rien, pour acheter la paix sociale :
la machine tourne ou pas, il y a ou pas des fuites, l’objet peut ou pas
s’ajuster à d’autres, la panne est ou n’est pas réparée. Les évaluations pratiquées
sont très proches de celles de la vraie vie qui, elle, n’est pas angélique.
Par ailleurs, sensibilisé 20 ans
avant PISA par Bertrand Schwartz à l’évaluation des apprentissages des élèves, je
pouvais constater que l’enseignement professionnel était en pointe sur ces
questions, notamment sur l’évaluation des compétences, avec en particulier un intelligent
dispositif national appelé Gérex soutien. Les nombreuses innovations pédagogiques étaient inspirées de la formation continue des adultes.
Quelques années après, choc après choc, réforme
après réforme, tous les savoir-faire se sont tristement perdus dans les sables.
Quel gâchis !
Une
culture syndicale particulière
Ultérieurement, là où il y en avait
une, les ENNA furent intégrées au sein des IUFM. Dans l’académie de Lyon, le
centre local de Villeurbanne, issu de l’ex-ENNA, accueillit encore son ancien
public mais aussi quelques autres filières de formation dont celle des CPE au sein de laquelle
j’assurai mon demi-service. En tant que formateur, j’ai tenu à
être rattaché à ce centre et ainsi côtoyer régulièrement des collègues dont
je connaissais la rudesse, mais surtout les riches qualités humaines et
professionnelles.
Sur le plan syndical, ce centre se
distinguait des autres : malgré une présence active du SGEN, la CGT était
majoritaire, avec tout ce que cela voulait dire. Beaucoup des formateurs
avaient préalablement exercé des activités dans des entreprises et en avaient
conservé une solide culture du combat syndical frontal, systématique et musclé.
Le rituel de la moindre réunion entre eux
et la direction était immuable. L’interrompre faisait immédiatement partir les
représentants des personnels suivis des autres participants. Quel que soit l’objet
de la rencontre, tout commençait par une très longue intervention syndicale
rappelant en détail l’histoire de l’enseignement professionnel depuis la
Libération, ses succès, puis ses évolutions sur quatre décennies ainsi que toutes
ses difficultés, pour s’achever par une vigoureuse demande de postes
supplémentaires que l’on exigeait de me voir adresser séance tenante au
ministère, assortie d’autres demandes en termes d’ateliers, de laboratoires, de
machines-outils, de véhicules, etc. À la longue, j’aurais été capable de faire
cette déclaration à leur place, tant je l'avais entendue.
Une fois ce prix symbolique payé, la réunion
se déroulait dans un climat positif, les leaders syndicaux s'effaçaient derrière les autres formateurs plus réalistes.
Si les syndicalistes étaient de fortes
personnalités bien entraînées aux luttes sociales, avec leur style immuable quand
ils étaient en délégations, je découvris peu à peu leur autre facette, beaucoup
plus attachante, car très humaine. Souvent elle m’a touché. De temps en temps,
seul, l’un d’entre eux demandait à me voir, non pas dans le centre local où
j’étais toutes les semaines, mais au siège de l’IUFM, à Lyon, dans mon bureau
de directeur. En toute discrétion, il venait pour m’informer de la situation difficile dans laquelle se trouvait un étudiant, un stagiaire, un formateur,
une secrétaire, une femme de ménage ou même parfois un projet (alors qu’ils
détestaient ce concept non bureaucratique). M’en préoccupant aussitôt après l'échange, je constatais qu’il avait eu raison de m’alerter, que je devais agir
en conséquence et je leur en savais gré.
Nous étions là sur le registre des
relations humaines de proximité, à des années lumières des jeux de rôles
formels, stériles, dépourvus d’humanité, qui vont à l’encontre de l’intérêt des
personnes. Rien sur ce plan ne peut se régler à coups de statuts et de barèmes.
Je rapproche ce souci des autres, que j’ai
trouvé au sein de ce centre local, d’observations que j’ai pu faire
ultérieurement dans des lycées professionnels de quartiers difficiles ou de
zones rurales. J’ai ressenti et je ressens encore beaucoup d’admiration pour leurs
équipes. En ces lieux, la personne (l’élève, l’enseignant) existe dans sa
singularité et est prise en compte. À son arrivée dans le lycée, chaque élève,
souvent très mécontent, réfractaire à l’école, décrocheur potentiel, immigrant récent, doit
individuellement être accueilli et longuement accompagné, parfois pendant des
mois, mais hélas, pas toujours avec le succès espéré. C’est alors durement
ressenti comme un échec collectif par les enseignants.
Je porte cela à l’honneur de
l’enseignement professionnel à qui l’on demande, hypocritement et avant tout, d’accueillir
les élèves les plus en difficulté d’apprentissage ou aux comportements scolaires très
difficiles. Qui reconnait vraiment son immense mérite ?
L’indifférence
méprisante des milieux intellectuels
Plus tard, la méconnaissance de ce secteur
par le grand public, l’indifférence et l’attitude méprisante des milieux
intellectuels (enseignants compris) qui jamais ne scolarisent leurs enfants
dans l’enseignement professionnel, me sont à nouveau apparues pendant les six
années ou j’ai siégé au Haut conseil de l’éducation.
Les rapports annuels de cette instance ont
porté sur différents sujets, comme l’enseignement primaire, le collège ou
l’enseignement professionnel. Après leur remise au Président de la République,
chacun de nos textes était repris dans les médias, nationaux et locaux, ce qui
nous valut d’avoir à répondre à de nombreuses demandes d’interviews, de
conférences, de participation à des séminaires, des tables rondes, etc.
L’épaisseur de chaque revue de presse était impressionnante… sauf pour le
rapport sur l’enseignement professionnel qui ne provoqua que de brefs
commentaires polis, et souvent à côté d’un sujet ignoré par la grande majorité
des journalistes qui connaissent mieux Sciences Po.
Aujourd’hui, je rapproche cela de l’assourdissant
silence des Espé sur la formation des PLP. Serait-ce le signe d’un mépris ? J’espère
que non ; ce serait indigne venant de la part de formateurs.
Des experts internationaux que nous avions
auditionnés pour éclairer nos travaux se déclaraient surpris par la singularité
française : près de 40% des collégiens étaient à la fin du collège dirigés
vers le secteur professionnel, mais pas toujours de bon gré. Chez plusieurs de
nos voisins, par exemple en Wallonie ou en Suisse, 60% des élèves s'orientaient dans cette voie. Pour donner un repère plus général, la moyenne des pays de
l’OCDE était alors au-dessus de 50%. Dans ces pays, l’enseignement professionnel
a des filières d’excellence, ce qui sans aucun doute change tout en termes
d’image.
Si en certains pays règne une égale
dignité entre l’enseignement général et l’enseignement professionnel, rien de
tel chez nous. J’ai plusieurs fois vu des professeurs de lycées professionnels être
ulcérés de savoir que leurs collègues du collège de leurs enfants les menaçaient
de les envoyer en lycée professionnel s’ils ne travaillaient pas mieux ! On
ne peut être plus explicite.
L’apprentissage est dans l’ombre des LP
Si l’on entend parfois évoquer les lycées
professionnels, le grand public ignore tout ou presque des centres de formation
des apprentis, les CFA. Ils dans l’ombre des LP, eux-mêmes dans l’ombre de
l’enseignement général, donc invisibles. Aux yeux de certains, c’est peu
important. Pourtant, au niveau scolaire, les 1200 CFA accueillent
environ 260 000 apprentis (en gros, le tiers des élèves de la voie
professionnelle).
Dans les débats d’après-guerre sur la
formation professionnelle, un grand nombre de nos voisins, dont la Wallonie, la
Suisse et l’Allemagne, ont choisi d’orienter très tôt leurs élèves dans des
voies en alternance faisant la part belle aux apprentissages professionnels sur
le terrain. La France en décida tout autrement, maintenant jusqu’à la fin de la
scolarité obligatoire les élèves sous statut scolaire et recevant le même
enseignement général dans le collège unique et uniforme. En fait, le vrai débat portait sur
les rapports entre la formation initiale et les entreprises, à une époque où le parti
communiste était puissant et, sur ce point, d’accord avec le Général de Gaulle
qui n’aimait pas les grands patrons dont beaucoup furent proches du régime de
Vichy.. C’est seulement en 1966, que les CFA
furent créés.
En 40 ans, l’apprentissage aura été concerné par une dizaine de lois, c’est tout dire des forces puissantes qui s’opposaient et s’opposent encore à son développement. Pourtant son intérêt est grand pour les élèves et pour la société ; mais sans doute est-ce secondaire !
En 40 ans, l’apprentissage aura été concerné par une dizaine de lois, c’est tout dire des forces puissantes qui s’opposaient et s’opposent encore à son développement. Pourtant son intérêt est grand pour les élèves et pour la société ; mais sans doute est-ce secondaire !
L’une des difficultés des CFA tient à leur
nature qui demande d’impliquer à la fois les Régions, les chambres consulaires,
les branches professionnelles et l’État à travers huit ministères
concernés, chacun délivrant ses certifications. Pour l'Éducation nationale, la concurrence est rude !
La loi Giraud de 1993 permit, à petits
pas, d’ouvrir des sections d’apprentissages dans les LP, lesquels ne se
précipitèrent pas sur cette opportunité…
Les apprentis doivent signer avec un
patron un contrat d’apprentissage ; donc il n’y a pas de possibilité de
stage là où il n’y a pas d’emplois. Par exemple, c’est l’une des difficultés que rencontre
le tertiaire de bureau, car aujourd’hui les grandes
banques ne recrutent plus qu’à Bac+3.
Si de 1995 à 2005 le nombre des apprentis
au niveau secondaire est passé de 300 000 à 400 000, l’objectif
d’atteindre 500 000 apprentis n’a pas été atteint et même, on reste bien
en deçà de ce chiffre car beaucoup d’acteurs se tiennent debout sur des freins
qui sont efficaces !
Au niveau secondaire, l’apprentissage ne rencontre
pas le succès global attendu par la société, alors que les jeunes qui
choisissent cette voie le font de plus en plus par attrait. Cette très lente évolution
annonce peut-être une métamorphose qui peut venir puisque les CFA sont
face à des LP, plus rigides dont ils peuvent facilement se distinguer.
La nature même des formations
professionnelles invite à privilégier, de façon naturelle, le rapport
aux entreprises et les formations en apprentissage qui favorisent nettement
l’accès à l’emploi. N’en déplaise aux grincheux répétitifs, les chiffres, bien
connus, sont éloquents : 20 points d’écart ! Ce n’est pas rien, on
n’est pas à la marge.
Bien sûr, la formation sous statut
scolaire est, elle, plus performante que l'apprentissage en termes d’acquisition de diplômes et,
semble-t-il, du niveau de la première rémunération. Donc, à chacun sa voie de
prédilection !
Malheureusement des raisonnements purement
corporatistes emploient depuis des décennies les mêmes arguments, faisant fi
des réalités et surtout de l’intérêt des élèves, pour ralentir les évolutions.
Ils conduisent à minimiser au maximum cette voie de formation pourtant très
appréciée des jeunes et de leurs familles à qui, disons-le, on ne demande pas leur
avis. Aux yeux de certains, les LP qui ne choisissent pas leurs élèves seraient plus « méritants » que les CFA. Mais est-ce bien le problème ?
Le
paradoxal rapport à l’emploi
Le paradoxe français est total.
L’enseignement professionnel est censé conduire à l’emploi, principalement dans
le secteur de l’artisanat, des entreprises, des sociétés de services, des
métiers de la santé, alors qu’une partie de son corps enseignant développe une
idéologie hostile à ce monde, ne valorisant aux yeux des élèves que les emplois
publics. Et encore, quand il évoque les emplois, car il préfère parler du chômage.
De là à parler d’employabilité… ne rêvons pas !
Cela est complété de l’attitude réservée,
voire négative vis-à-vis de tout ce que les lycéens apprennent durant leurs
stages « à la solde des patrons ». Cela ne facilite en rien les
apprentissages des élèves, encore moins leur insertion professionnelle, et
soulève de graves questions éthiques.
Le paradoxe ne s’arrête pas là. À
l’opposé du bon sens, l’enseignement professionnel refuse de s’adapter aux
évolutions des emplois ; il n’ose pas le dire publiquement, mais en gros il
voudrait que les emplois se conforment à ses formations. On comprend donc
pourquoi l’apprentissage, par essence plus réactif et plus flexible, lui taille
des croupières dans certains secteurs.
On peut encore s’étonner d’une autre particularité
de notre système éducatif. Au niveau scolaire l’enseignement professionnel (à
l’exception de quelques filières à faible capacité d’accueil comme l’horlogerie,
la lunetterie ou l’ébénisterie d’art), souffre d’une mauvaise image qui effraye
les familles, alors que dans l’enseignement supérieur c’est l’inverse :
les BTS et DUT sont des filières sélectives de plus en plus recherchées. À quoi
tient cette différence d’image ?
Les
vrais défis des lycées professionnels
Le principal défi des lycées professionnels,
déjà évoqué, est crucial : accueillir des élèves rétifs à l’école, en voie
de décrochage, parfois déjà décrochés et que l’on tente de raccrocher. Ils ont été orientés sans considération de leurs désirs. Celui qui demande la section
plomberie d’un lycée attractif de telle commune, sera envoyé dans la filière
bois d’un lycée moins flamboyant et, en plus, dans une autre commune. Triple
peine ! Bien sûr l’enthousiasme des élèves n’est pas au rendez-vous, qui
peut s’en étonner ? Et depuis quelques années, ce sont les LP qui doivent
accueillir les enfants de migrants ; difficulté supplémentaire qu'ils assument.
Malgré les grandes qualités humaines des
acteurs, ce secteur n’échappe pas plus que les autres aux sujets tabous, il
a les siens.
Dans un LP, ne demandez surtout pas ce que
font les enseignants pendant que leurs élèves sont en stage ; la question,
impertinente, serait reçue comme une vile agression !
N’évoquez pas non plus le sujet de l’apprentissage
(sauf pour en dire du mal), même si le LP accueille à dose homéopathique
quelques apprentis sous statut scolaire, mais rarement mélangés avec les autres
élèves.
Citez encore moins les CFA considérés comme
à la solde de l’ennemi de classe, le patronat, selon la doxa marxiste qui exerce encore une grande influence.
L’enseignement professionnel est, de deux
façons, lié à l’activité économique et à la vraie vie ; il ne peut pas
passer à côté d’elle, ce qui le distingue notablement de l’enseignement général
ignorant le monde qui l’entoure.
D’une part il est censé conduire directement à l’emploi, même si le Bac professionnel ouvre, comme les autre baccalauréats, l’accès à l’enseignement supérieur dans une colossale hypocrisie bien mise en lumière d’abord par APB (voir notre billet sur ce sujet), puis par ParcourSup. Depuis sa création en 1985 et son indéniable réussite, surtout ces dernières années avec le Bac Pro en 3 ans, sa finalité première est d’abord de permettre une insertion professionnelle, c’est ainsi. Pour l’enseignement professionnel, l’examen des taux d’emplois, secteur par secteur, est donc essentiel.
D’une part il est censé conduire directement à l’emploi, même si le Bac professionnel ouvre, comme les autre baccalauréats, l’accès à l’enseignement supérieur dans une colossale hypocrisie bien mise en lumière d’abord par APB (voir notre billet sur ce sujet), puis par ParcourSup. Depuis sa création en 1985 et son indéniable réussite, surtout ces dernières années avec le Bac Pro en 3 ans, sa finalité première est d’abord de permettre une insertion professionnelle, c’est ainsi. Pour l’enseignement professionnel, l’examen des taux d’emplois, secteur par secteur, est donc essentiel.
D’autre part, pendant leur formation, les
lycéens sont appelés à effectuer différents stages plus ou moins longs, en
entreprises ou dans le secteur sanitaire et social, ou parfois dans le monde
associatif, presque jamais dans les services publics (mais des pistes semblent
se dessiner pour l'an prochain) et découvrent ainsi les réalités du monde du travail.
Des
liens ambigus entre collèges et enseignement professionnel
Les liens entre collèges et enseignement
professionnel ne sont pas exemplaires. Ils reposent sur une grande
méconnaissance des premiers envers le second, complétée d’un mépris qui
n’échappe ni aux élèves ni à leurs familles et qui les blesse.
Pour les deux dernières années de collège,
plusieurs fois, sous des formes variées suivant les époques, ont été proposées d’autres
possibilités partielles ou totales pour de petits effectifs d’élèves allergiques
à l’école, désireux de rencontrer très vite le monde du travail et leur futur
métier. Ils pouvaient bénéficier de parcours aménagés facilitant ensuite leur
arrivée en LP ou en CFA où là, ils ont le sentiment, pour la première fois,
d’être traités comme des adultes.
Des tentatives multiples ont été faites
les unes après les autres, sous des appellations variées : 4e
d’aide et de soutien, 3e d’insertion, 4e et 3e
technologiques, modules de découverte professionnelle de 6 heures (DP6),
dispositifs de préapprentissage, 3e pré-pro pour découvrir les
entreprises… Afin de discerner un métier, le dispositif d’initiation aux
métiers en alternance (DIMA) pour les jeunes de 15 ans leur propose une
formation en alternance, en CFA mais sous statut scolaire.
Je demandais à un principal de m’expliquer
comment il affectait les enseignants sur cette classe un peu particulière. Il
me répondit : « je veille à lui attribuer au moins un bon prof. Mais,
que veux-tu, je ne vais pas confier mes classes de bons élèves aux mauvais
profs ». Certes, ce n’est qu’un cas, mais il est édifiant au pays où l’on
a décrété que tous les enseignants se valaient et les classes aussi ! Dans
les établissements, cela se sait mais personne n’en parle. Heureusement, pour
ces enseignements à petits effectifs avec de nombreux groupes dédoublés,
« l’effet dédoublement » compense positivement « l’effet
prof ». Mais, chut, surtout ne le dites pas !
Pourtant, l’on sait combien d’enfants en grande
difficulté scolaire, désintéressés par l’école et désireux enfin de travailler,
en ont bénéficié et ont ainsi préparé leur avenir dans un grand soulagement des
familles.
Il faut croire qu’il n’est pas important que
des jeunes puissent se réaliser puisque ces dispositifs, en petit nombre, seulement
dans quelques collèges, ont soulevé l’opprobre des idéologues développant la
classique antienne : tous au même rythme et tous à l’identique. Quels que
soient les dégâts causés puisque l’important, c’est l’uniformité !
On note une seule exception hypocritement
acceptée pour des raisons inavouables : les Sections générales et
professionnelles adaptées (SEGPA) intégrées dans certains collèges. Elles accueillent,
dans des classes de 16 élèves au plus, des enfants présentant des difficultés
scolaires graves et persistantes… pour les isoler des autres ! Le rapport
à la voie professionnelle n’est qu’un simple prétexte.
Un
secteur ignoré, méprisé et pourtant souvent innovant
Les innovations pédagogiques sont une
tradition de l’enseignement professionnel qui fut l’un des premiers secteurs à
travailler en termes de compétences, de contrôle continu, d'unités capitalisables, d’évaluations (bien avant le Socle commun)
et plus tard de parcours. Les enseignants des disciplines générales sont bivalents. Bien peu connaissent ce que fut son avance pédagogique
sur les collèges et les lycées d’enseignement général.
La création des lycées des métiers
au début des années 2 000 fut une initiative réussie inspirée des lycées
agricoles et gageons que les campus des métiers, plus récents, empreints de la
même philosophie, feront aussi bien.
Dans le secteur de l’enseignement
professionnel, les innovations s’implantent avec sérieux, mais très lentement
et malheureusement sont totalement ignorées du grand public.
À dire vrai, je ne serais pas
surpris qu’elles aient un peu inspiré l’actuelle réforme des lycées. Pourtant,
qui oserait le dire ? Ce serait la honte !